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24 mars 2019

Du septième art au septième ciel

Introduction

L’invention du septième art n’est pas anodine. La séance cinématographique est une reproduction à notre échelle de la scène universelle. Nous nous proposons de nous appuyer sur ce rapprochement pour éclairer la connaissance de Soi. Qui suis-je ? Il est impossible de répondre d’emblée à cette question. L’ignorance qui l’entoure est à la source de nos activités, nos pensées, de nos égarements et désordres mentaux. La connaissance de Soi est indispensable pour accéder à la plénitude. Elle s’acquiert directement par l’intuition. Sa verbalisation ne débouche que sur des paradoxes. Le langage ne permet de saisir que des objets limités au contraire de la Plénitude du Soi qui est, par essence, sans limite. Les capacités intuitives ne peuvent s’acquérir sur simple décision. L’investissement de la personne humaine dans la recherche de la connaissance de Soi est inégalement vécu. Son aboutissement requiert ténacité et humilité. La scène universelle est en apparence en tout point semblable à une séance de cinéma. Mais en apparence seulement. Examinons-la ! Maintenant

 

La scéance universelle

Lorsque l’on pénètre dans la salle de cinéma, ce qui frappe d’emblée, c’est le spectacle. Il en va de même pour la vie quotidienne. Différence : on peut - ou ne pas - assister à la première qui, elle, est payante. Quant à la seconde, elle est obligatoire et le ticket est gratuit. On nous le donne à la naissance sans autre forme de procès. Mais ce fait ne se révèle que très progressivement en grandissant.

Au départ, il n’y a qu’un tout sensoriel - émotionnel. Tout paraît simple : rien à faire. Comme au cinéma. Très vite cependant, des divergences apparaissent, par suite d’un mécanisme spontané qui embrouille la situation. L’identification créé en effet une confusion.

Au cinéma, ce mécanisme nous fait oublier notre identité sociale. Nous nous transportons au cœur de l’action imaginaire projetée sur l’écran exactement comme si nous y étions physiquement, soit blotti dans la peau d’un des personnages, soit comme témoin. Mais cette confusion ne dure que le temps de la séance. En sortant de la salle, retrouvant nos esprits, nous reprenons nos activités là où nous les avions laissées, même si des traces de la séance plus ou moins profondes peuvent persister.

Dans la vie quotidienne, une confusion similaire se produit également. Avant de l’examiner plus amplement, il nous faut d’abord approfondir ce qu’est le spectacle sur ce plan.

 

Le spectacle universel

Pour l’être humain ordinaire, le spectacle universel est scindé en deux parties : l’intimité du moi et le monde extérieur sur lesquels nous reviendrons. La connaissance de Soi est travestie en une dualité irréconciliable, source de tension mentale et souffrance permanente.

Le véritable spectacle universel inclut nécessairement les deux parties. Il englobe, sans s’y limiter, les informations que fournissent les cinq sens - odorat - goût – vue - toucher - ouïe - qui concernent le monde considéré comme extérieur, celles provenant du métabolisme physiologique et de la masse viscérale et musculaire ainsi que les émotions, intuitions et pensées. La dualité de la condition ordinaire n’est plus. On parle alors de contemplation.

Ceci concerne l’état de veille. La totalité du spectacle inclut aussi ce qui est vécu dans les états de rêve et de sommeil profond. Ces deux autres états ont, contrairement à ce que nous croyons ordinairement, autant de réalité que la veille.

Dans le rêve, la matérialité perd sa consistance. Elle est fluide, malléable. Agir se fait sans effort, sans élaborer une stratégie qui réponde à une logique personnelle. Conséquences : les situations s’enchaînent comme par enchantement. Parfois, le rêve tourne au cauchemar : une matérialité implacable semble reprendre ses droits. Elle force nos gestes et nos mouvements intimes dans une camisole psycho-physique à laquelle nous ne pouvons échapper.

La bienheureuse inconscience du sommeil profond n’est vécue qu’à posteriori, lorsque l’on en sort brutalement. A l’opposé du rêve lorsqu’il se mue en cauchemar, le souvenir de cet état nous le fait regretter sans possibilité de le retrouver dans l’immédiat.

La succession journalière de ces trois états inscrit une ronde continuelle sur l’écran impalpable de la conscience universelle. C’est sur cette ronde, que la mort corporelle n’interrompt pas, que s’ouvre le vrai spectacle universel.

Car contrairement à ce que l’on croit ordinairement, la conscience n’est pas l’apanage de notre activité corporelle. Au contraire, c’est l’immuabilité de la conscience qui en révèle les mouvements et les pauses, notamment ceux de la pensée. Eclairons ce propos par le rapprochement suivant : si l’univers était entièrement noir, nous ne le saurions pas. Seul un fond blanc sur lequel il se détache nous le fait connaître.

Nous attribuons par erreur la fonction consciente à la pensée en raison précisément de la confusion qui substitue la réalité suprême à celle, conditionnelle, du spectacle universel révélé à l’inverse par la conscience.

 

Les éléments du film universel : projecteur - écran - spectateur

A l’écran impalpable de la conscience, dont nous venons de parler, nous devons adjoindre un projecteur universel duquel est issu tout le spectacle. Vient enfin le spectateur universel qui contemple l’ensemble de la manifestation dont les évènements intimes et extérieurs qui nous concernent directement font partie.

Notons que ces trois fonctions sont reprises dans la genèse biblique. Dieu créé le monde - c.a.d. le projette - en nommant successivement ses différents éléments. Il contemple sa création en ‘constatant que cela est bon’ à mesure qu’elle se déroule. Quant à sa fonction consciente, elle est implicitement active car sans elle, les deux autres - création et contemplation - seraient sans objet.

Le spectacle universel rassemblant tout ce qui est observable, il va de soi que le spectateur universel, tout comme l’écran et le projecteur, sont imperceptibles. Comme dans la genèse, ces trois entités sont indissociables. Le projecteur-écran-spectateur est par essence inaccessible à la pensée, faute de quoi il serait - tout comme chaque pensée - observable et ferait partie du spectacle.

L’inclusion de l’univers intime dans le champ du spectateur universel va à l’encontre de ce qui se passe dans la vie quotidienne, où nous limitons le champ d’observation au ‘monde extérieur’ sans que nous en soyons pleinement conscient, l’univers intime, rattaché au Moi, étant de fait considéré comme inviolable.

Une question surgit : quel est l’intérêt pour nous de gloser sur cette entité suprême du projecteur-écran-spectateur dont nous ne pouvons rien connaître ?

 

L’identification dans la vie ordinaire

Tentons de répondre à la question précédente en poursuivant notre parallèle. La confusion qui conduit le spectateur de la séance de cinéma à substituer au monde dans lequel il vit le monde imaginaire projeté sur l’écran, se produit également au plan universel. Mais, contrairement au premier cas où cette substitution cesse avec la fin de la séance, ce processus se poursuit en permanence pour le second à notre insu : l’oubli temporaire de notre réalité sociale pour celle imaginaire de la projection cinématographique s’est mué en un oubli permanent.

En effet, dans le quotidien, la réalité, limitée à la personne évoluant dans le monde et à ce que la science permet d’en inférer, se substitue à celle de l’entité suprême aux trois fonctions indissociables de projecteur-écran-spectateur. Et de même que les personnages du film cinématographique ne peuvent connaître l’existence du spectateur corporel qui les observe, la personne humaine ne peut remonter en apparence à la connaissance de l’entité suprême dont elle tient pourtant son existence. Celle-ci relève au mieux de la spéculation intellectuelle.

 

La connaissance

A la fin du film cinématographique, le spectateur réalise que le monde projeté sur l’écran et les personnages ou le témoin imaginaire auxquels il s’est temporairement identifié n’ont pas de réalité. Il retrouve alors sa véritable identité sociale.

Comme pour celle du spectateur corporel pendant la séance de cinéma, la réalité intangible de l’entité suprême est oblitérée dans nos occupations quotidiennes. Elle est reportée sur la totalité matérielle - la seule qui soit perceptible - dont l’existence ne saurait de ce fait être remise en question. Ce transfert opère une scission du spectacle universel en deux parties : la personne corporelle, dont l’intimité est inviolable, qui en assume la fonction consciente et le monde extérieur, dans lequel elle évolue.

Ce transfert peut également cesser comme au cinéma mais dans de très rares cas seulement. Cette cessation est une opération consciente : déliée de sa condition corporelle inaltérable qui en limitait la perspective à la conscience du sensible, la personne peut alors accéder à la connaissance directe de son identité suprême, tout comme le spectateur de la salle de cinéma retrouve la pleine puissance de son identité sociale lorsque le spectacle prend fin. Nous préciserons cette question dans le chapitre suivant.

Poursuivons le parallèle. Dans la condition ordinaire, l’être humain va au cinéma pour se distraire voire se soustraire à ses activités habituelles en les oubliant temporairement. Il revêt alors les qualités du personnage qu’il incarne comme s’il les possédait en propre. De la même manière, on peut envisager la manifestation universelle comme un jeu divin, jeu en vertu duquel la réalité de l’entité suprême est masquée par celle de la pluralité matérielle parée des mêmes attributs. C’est notamment le cas de la vérité dont la personne humaine, chargée de la fonction consciente, devient de fait le seul dépositaire.

 

De la non connaissance à la quête de la vérité

Ce transfert de la vérité, opéré dans l’ombre, se traduit par l’affirmation de la conscience d’être - le moi - dont la personne corporelle est imprégnée : Je fais – je dis – je parle – je pense – je sais – je suis. Investis du sceau de la vérité, nos faits dont notre corps y puisent leur consistance et prennent force de loi incontournable. Ainsi s’érige notre ego, source potentielle de conflit et tension. Nos actes, nos paroles, nos pensées et représentations de la réalité universelle et de sa scission irréconciliable entre moi et non moi ne sauraient être remis en cause.

Incompatible avec la détention de la vérité, toute souffrance devient intolérable. Mais pour ceux qui comprennent que son origine se situe dans la méprise de la vérité, pourquoi dès lors ne pas tenter l’ascension vers sa source, plutôt que de se contenter d’en faire le simulacre par la promotion du moi individuel ?

Nonobstant le fait qu’elle ait très peu de chance d’aboutir, nous remarquerons que cet engagement, qui demande une fermeté sans faille, n’est pas du ressort de la personne. Il est entre les mains invisibles de l’énergie universelle qui préside à la confection de nos corps, actes, paroles, pensées et décisions, énergie sur laquelle nous n’avons aucune prise car elle prend précisément ses racines dans la source suprême.

Pour adoucir la rugosité de cette affirmation dont chacun peut par une observation minutieuse de ses mouvements intimes vérifier le bien-fondé, nous égaierons ce bref essai d’une note positive. Lorsqu’elle est bien orientée, la quête de la vérité est une source inépuisable de joie intérieure. Le meilleur remède contre les désordres qui envahissent inéluctablement le champ mental de l’être moderne. 

 

Conclusion

La libération des entraves du corporel, source véritable de notre souffrance, est le propos de toute quête spirituelle sincère qui prend à travers le monde que nous connaissons des formes innombrables, chacun suivant une voie qui lui est propre. Cette quête exige une implication totale de la personne dans chaque fait à chaque instant. Elle ne saurait être considérée comme une activité qui se juxtaposerait aux occupations quotidiennes, mais comme un recentrage de ces occupations dans une perspective de plus en plus élargie, dont le point de mire est une accession à la conscience totale où tout est englobé.

Cette quête remodèle sans cesse la vision de l’existence, en peaufine les contours en la reprenant chaque jour comme un sculpteur son bloc de marbre, parcourant maintes formes, jusqu’à ce qu’il ‘comprenne’ que ce bloc dont il espérait tirer la forme ultime n’est autre que lui-même. Cette opération ultime est un abandon sans retour de la condition humaine.

 

 

  Extrait de   'Du septième art au septième ciel' par Chidakasha Bhaskara  

Cette publication inclut quelques poèmes supplémentaires

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